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CAZERE René

Je suis né à Bastia le 14 février 1883. Issu d’une famille d’officier de l’armée de terre, mon enfance s’est écoulée loin de la mer, et dans mon entourage, je ne me souviens pas d’en avoir entendu décrire les charmes, conter les fureurs ou signaler les dangers. C’est assez dire que le goût de l’aventure et l’attrait de l’inconnu m’ont seuls poussés vers la carrière maritime. La mort prématurée de mon père qui avait toujours combattu ces aspirations, les qualifiant d’enfantines et de passagères, me fournit l’occasion inattendue de réaliser mes désirs.
J’étais jeune, j’avais 15 ans, j’habitais la Haute-Savoie, ne connaissais rien des choses de la Mer, et n’avais aucune relation dans le monde maritime.
Après un court séjour à Marseille, et alors que j’avais épuisé mes petites ressources, j’embarquais sur le s/s NANTES LE HAVRE de la Cie Nantaise, le 15 octobre 1898. Comme mousse de carré, je devais servir l’Etat-Major. Contrairement à beaucoup de débutants, je n’eus pas la chance de trouver parmi les officiers qui le composaient, une âme compréhensive et indulgente, pour guider dans ses premiers pas, le malheureux gosse que j’étais, soudain transplanté dans un milieu complètement différent de celui qui avait été le mien jusque là. Comment ne m’ont-ils pas dégoûté du métier de marin ? Je me le demande encore !
Après 3 mois d’une vie d’enfer, je profitais d’une escale à Dunkerque pour abandonner ce bagne flottant et mettre mon sac sur le 4-mâts MONTMORENCY de la Maison Bordes. Mon cœur débordait de joie, quand je posais pour la première fois mon pied sur cette belle et neuve unité où tout rutilait de la pomme des mâts au fond des cales. J’eus le plaisir de constater combien la vie dure et austère à bord de ces longs courriers peut être tempérée et rendue acceptable par une discipline paternelle et un traitement humain. J’accomplis ainsi 3 voyages consécutifs du Chili où comme tout le reste de l’équipage, je dus me contenter de contempler la côte aride du pont de mon navire, ce qui m’incita, au retour du troisième voyage à me rendre à Nantes pour y rechercher un embarquement sur un voilier apportant un peu plus de variété dans ses pérégrinations.
Matelot sur le 3-mâts COMMANDANT MARCHAND, premier navire de la Cie Maritime Française, que dirigeait Eugène Polo, je restais fidèle à cette Compagnie où je servis successivement comme lieutenant sur le 3-mâts MICHELET, second-capitaine sur le TURGOT et le 3-mâts carré HOCHE que je ramenais à bon port après la disparition du capitaine dans le Pacifique, et finalement pendant 5 années au commandement du BUFFON.
Au cours de ces années, j’avais sacrifié le temps nécessaire à conquérir mes grades. En 1908, j’étais reçu C.L.C. et, en 1909, en cette qualité je prenais pour la première fois le commandement d’un navire.
En 1914, la navigation à voiles commençait déjà à paraître un anachronisme et l’on pouvait en pressentir la fin prochaine. J’entrais à la Cie Ballande de Bordeaux où après un court stage, de second capitaine sur le s/s SAINT MARC, commandé par le capitaine Saint Martin, je fus appelé au commandement du petit courrier inter-insulaire des Etablissements français de l’Océanie. Je restais ainsi plusieurs années dans le Pacifique, un peu envoûté par le charme des mers du Sud dont j’éprouve encore aujourd’hui la nostalgie.
Revenu en France, j’y commandais successivement le s/s SAINT-SIMON, puis le CLAUDIUS MAGUIN, ce dernier pendant 13 années.
16 ans comme chef du pilotage de l’Adour, poste auquel je fus nommé le 1er juillet 1934, complètent ma carrière que je n’ai jamais regrettée d’avoir embrassé, ayant oublié les heures graves ou tragiques qu’elle m’a dispensé pour ne me souvenir que des jours heureux et des satisfactions qu’elle m’a procurées.
Distinctions :
Chevalier de la Légion d’Honneur.
Médaille d’Honneur des Marins du Commerce.
Commandeur du Mérite Maritime.

TROIS COUPS DE PAVILLON
En un mois d’intervalle, les Cap Horniers de la Bordée du Sud-Ouest ont perdu leur doyen Durrieux et leur vice-président Cazère René, âgé de 90 ans.
Pour les marins qui ont fréquenté le port de Bayonne, ils se rappelleront toujours cet homme énergique, chef du pilotage, ayant le coup d’œil du marin pour apprécier du haut de la tour du Pilotage, l’état de la mer sur les passes et pour décider, en toute tranquillité d’esprit, soit l’ouverture du port, soit l’interdiction formelle de s’aventurer dans les passes, tant pour l’entrée que pour la sortie et ceci pendant plus de vingt ans.
Et quelle carrière avant d’assumer cette lourde charge !
Né en 1883, il débuta à quinze ans sur le 4-mâts MONTMORENCY, 3 voyages sur le Chili, comme mousse, novice et matelot.
Capitaine au long cours en 1908, il fit encore 6 voyages à la voile, dont 5 comme capitaine. Il passa 15 fois le cap Horn. Quelle initiation !
Il commanda ensuite pendant 17 ans des navires à vapeur sur les lignes internationales de "tramping" jusqu’aux îles du Pacifique (Tahiti, les Marquises…)
Pendant la guerre de 1914-1918, notamment, affecté au service de ravitaillement des îles de Nouméa à Tahiti et aux archipels, il dut prendre la douloureuse décision de saborder son navire, le SAINT FRANCOIS, dans la passe de Papeete pour empêcher les croiseurs allemands SCHARNHORST et GNEISENAU d’entrer dans le port. Son navire fut renfloué quelques mois plus tard. L’amiral allemand von Spee, selon l’usage, accepta son échec et reprit le large.
C’est à cette époque que Cazère rencontra la Mère Supérieure de Taio Haf (en 1915) aux Iles Marquises. Elle était alors âgée de 70 ans et avait reçu la visite des deux croiseurs et de l’amiral allemand à qui elle fit payer 100 pièces en or de 20 marks les vivres et le ravitaillement qu’il avait exigé, sans toutefois aller au-dessus de ses possibilités.
Cazère a relaté dans ses écrits tous les souvenirs remarquables de cette navigation pleine de charme et d’imprévus.
Il quitte, la navigation active à 55 ans pour le pilotage du port de Bayonne, où il a terminé par une retraite active sa belle carrière de marin à laquelle ses plus jeunes camarades rendent hommage avec les souvenirs de son dévouement sans bornes à l’Amicale des Cap Horniers.
(Reçu de notre camarade Lamiotte de Bordeaux.).